Carmen, Carta 2

  • Prison de Las Ventas, 09 mars 1944

    Chère Lucie

    Merci pour ta nouvelle lettre, ça fait très plaisir de te lire et je retrouve le sourire. Ta lettre me trouve encore en prison parce que j'ai été condamnée à 12 ans de réclusion. Je suis encore ici pour longtemps. Je m’inquiète beaucoup pour toi à cause de la situation en France. C'est horrible. Cette situation me touche car elle me rappelle ma propre histoire. Après la mise en place de la dictature de Franco en Espagne, c'est maintenant au tour de la France, pays des droits de l'homme, de tomber dans les mains des fascistes. J'espère que ça s'arrangera très vite.

    Je te félicite pour ton engagement dans la résistance. Avec cela je peux me rendre compte qu'il n'y a pas qu'en Espagne que les femmes ont décidé de se rebeller contre le gouvernement. En effet, ici, pendant la Guerre Civile, des femmes appelées Las Libertarias, décidèrent d'aller au front avec les hommes. Elles voulaient faire leur propre révolution et souhaitaient que le gouvernement les laissent combattre parce que, au début, le gouvernement ne voulait pas qu'elle participe à la guerre. Maintenant que la guerre est terminée, Las Libertarias luttent avec les maquis et comme tu m'as demandé des informations sur eux je vais te les donner. Les maquis sont des groupes de républicains qui continuent de lutter contre le franquisme. Ils se cachent dans les montagnes et dans des lieux de difficile accès. Ce mouvement a commencé pendant la Guerre Civile et perdure toujours. Ils réalisent beaucoup d'actions pour lutter contre le franquisme comme détruire les voies de chemin de fer, procéder à des exécutions, créer des coups économiques, séquestrer des franquistes… Ce mouvement se compose d'hommes, de femmes, de jeunes de toutes religions et de tous âges. Au niveau politique on retrouve dans ce groupe les républicains , les communistes, les anarchistes, les socialistes, soit toutes les classes sociales et politiques de la gauche. Je peux préciser que tous ceux qui étaient terrorisé par le franquisme fuyaient avec eux. C'est un mouvement courageux qui défend les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, soit la devise française que tu connais bien. Cependant à cause de leur combat ils risquent la peine de mort.

    Quique le fils de Blanca est venu me voir pour me raconter ce qui se passe dehors et comment va la situation en Espagne.

    Ici le régime politique fondé par le général Francisco Franco se base sur une idéologie conservatrice, nationale et catholique. Les gens ont peur de la dictature parce qu'il n'ont pas de liberté. Autrement dit, ils ne peuvent pas penser par eux-mêmes, ils ne peuvent pas s'exprimer et ils vivent en pleine censure. Elle est partout et on a l'impression de n'être au courant de rien. Par exemple, Quique, qui est allé au cinéma, m'a raconté qu'il est impossible de voir de l'amour, des danseuses de cabarets, des scènes de sexe et le duvet des jambes ce qui me semble incroyable. De plus, nous ne pouvons pas entendre les chants républicains et surtout pas la marseillaise parce que c'est un hymne pour la résistance et la liberté. Au contraire nous devons chanter l'hymne franquiste et crier «  debout l'Espagne » en levant une main en l'air à la manière fasciste. Un jour, avant mon arrestation, alors que j'étais en train de me promener dans la rue les militaires franquistes sont arrivés et ont demandé à un grand père de chanter l'hymne franquiste. Mais celui-ci ne le connaissait pas. Les militaires l'ont donc frappé. Franco nous contrôle, mais on reste déterminé.

    En plus de la censure nous vivons en pleine pénuries d'aliments et tout le peuple espagnol doit manger moins. Quique m'a raconté qu'ils avaient des cartes de rationnement pour manger. Ce sont des cartes avec lesquelles il peut acheter des aliments et des vêtements de première nécessité. Cependant, c'est insuffisant pour manger une semaine entière. Chaque semaine, il doit attendre beaucoup de temps pour recevoir sa nourriture dans de longues files d'attente . Mais il n'est jamais sûr de l'avoir. Et si il se rebelle, il subira la répression franquiste qui est très violente et cruelle. Cette répression n'a aucun sens. Seulement parce que nous voulons manger , ils peuvent nous arrêter, nous torturer et nous tuer. Nous vivons dans la peur. Nous ne savons jamais quand nous allons mourir.

    J'espère pour toi que ta situation s'améliore pour le bien de tous et pour que vous puissiez venir nous aider à sortir du franquisme. Moi, je maintiens ma tête haute. Nous sortirons de tout cela victorieux, je l'espère.

    Continue à me donner de tes nouvelles, de toi et de ta famille. Je pense fort à toi. Je t'envoie plein de courage.

    Avec toute ma tendresse

    Carmen