Lucie, première lettre. Novembre 1939

  • Primera carta de Lucie

    Strasbourg, le 11 novembre 1939

    Chère Carmen,

    J’espère que quand tu recevras cette lettre elle te trouvera en très bonne forme. Moi, je vais bien. Tu ne me connais probablement pas et tu n'as sûrement pas entendu parler de moi, mais je suis sûre que nous pourrons devenir de bonnes amies, si on nous permet de vivre. J’ai entendu parler de toi et de tes amies, de votre grand courage et de votre lutte pour les valeurs que nous défendons, tels que la liberté et l´égalité.

    En France, on n'arrive pas à avoir beaucoup de nouvelles de l'Espagne, car il semble que le régime établi depuis votre Guerre Civile tient à la fermeture de toutes les voies d´information. Nous savons très peu de la guerre et de sa fin, mais on a appris la mort de 57 personnes, parmi lesquelles 13 femmes. On dit qu’on les appelait “ les 13 roses”, en raison de leur jeunesse. La nouvelle que tu étais l'une d´entre elles nous est arrivée, mais aussi que tu es parvenue à te sauver d'une telle peine.

    Avant tout, je souhaite te dire que tant Raymond Aubrac, avec qui je me vais me marier le mois prochain, comme moi, nous sommes très boulversés que des êtres humains puissent être exposés à cette situation tout simplement parce qu'il luttent pour la dignité et la liberté du peuple. Nous sommes désolés pour les morts inutiles qui ont eu lieu et nous nous mettons à votre place. C’est pourquoi nous voulons t'encourager et te redonner un peu le moral pour que tu puisses supporter ce qui doit être une réclusion angoissante engendrant beaucoup de douleurs surtout après avoir vu disparaître tes camarades.

    J'espère qu'on sera capables d’apprendre de tout cela et qu'une situation telle ne se répètera plus jamais. Mais … qu'est-ce qui s’est passé pour que ces femmes soient exécutées ? On sait que les femmes en Espagne sont arrivées à franchir une nouvelle étape et ont réussi à ce que le vote d´une femme ait la même valeur que celui d'un homme. Mais pourquoi fusiller 13 femmes innocentes qui n'ont jamais tâché leurs mains de sang ? Normalement, les femmes ne vont pas lutter au front. Quel était donc le délit qu'elles ont commis pour que la grâce ne leur ait pas été donnée. Puisque tu étais amie de ces 13 jeunes femmes, d'après ce qu’on m'a raconté, peut-être pourras-tu nous raconter ce qu'il s'est passé plus exactement.

    Ici en France les choses se gâtent par moments. Depuis que l'Allemagne a envahi la Pologne au mois de Septembre, notre pays, avec l’aide du Royaume-Uni, a déclaré la guerre à l'Allemagne, mais heureusement aucune bataille n'a eu lieu pour le moment (“Drôle de guerre”). Pour l’instant, notre pays est dévoué à la préparation d’une ligne défensive tout le long de notre frontière avec la Belgique qui s’est déclarée neutre. C’est pourquoi on craint qu’il y ait une brèche qui puisse mettre en danger notre défense. On croit que tout est en ordre et que les allemands ne réussiront pas à nous dominer, mais chaque jour on reçoit des nouvelles qui nous font craindre le pire. Le siège à Varsovie a été vraiment cruel et terrible. Les intenses bombardements ont visé la population civile et on nous raconte que plus de cent mille soldats ont été faits prisonniers par les nazis et que la ville a été dévastée pour servir d'exemple aux autres.

    J’espère que cette lettre n'entraînera aucun problème pour toi et qu´elle soit la première d'une longue liste de lettres qui nous rapprochent et qui nous aident à supporter cette situation si compliquée et boulversantes.

     

    Reçois, avec toute mon amitié, mes salutations distinguées. 

    Courage, ma chère!

    Lucie Bernard

    (Prochainement Lucie Aubrac)

     

     

    Les élèves espagnols après avoir terminé la lettre / Los alumnos españoles después de terminar la carta