Le refus
II.PARLÉ
Le comte Bougard de Valence fait au comte Garin de Beaucaire une guerre terrible, mortelle. Chaque jour il se présente aux murs de la ville avec cent chevaliers et dix mille sergents. Il brûle sa terre, il dévaste son pays, il tue ses hommes.
Garin est vieux, fatigué. Il a un fils, Aucassin. Beau, élégant, grand, il a les jambes, les pieds, le corps et les bras bien faits. Il a les cheveux blonds et très bouclés, les yeux vifs et rieurs, le visage lumineux et allongé, le nez haut et bien planté. Il a mille qualités, sans le moindre défaut. Mais Amour, le souverain maître, s’empare de lui.
Son père et sa mère lui disent :
- Cher fils, prend donc tes armes et monte à cheval ! Défends ta terre, aide tes sujets.
- Père, répond Aucassin, que dites-vous là ? Si vous m'empêchez d'épouser Nicolette, ma douce amie, que j’aime tant, vous ne me verrez plus paraître dans aucun tournoi, ni vous défendre par les armes contre vos ennemis.
- Fils, dit le père, c’est impossible. Laisse Nicolette ; c’est une captive[1] qui vient de l’étranger ; le vicomte de la ville l’a achetée aux Sarrasins et l’a amenée ici. Il l’a fait baptiser, elle est sa filleule. Bientôt, il va la marier à un jeune homme qui lui gagnera honorablement son pain. Cela ne te concerne pas ! Si tu veux prendre femme, je te donnerai la fille d’un roi ou d’un comte.
-Allons donc, père ! Quel haut titre ne mériterait pas Nicolette, ma très douce amie ? Impératrice de Constantinople , reine de France ou d’Angleterre ? Ce serait trop peu pour elle, tant elle est noble, courtoise, généreuse, pleine de toutes les qualités.
III. CHANTÉ
Aucassin est de Beaucaire.
un château d'agréable séjour.
De Nicole qui est si bien faite,
personne ne peut le détacher.
Son père ne lui donne pas son accord 5
et sa mère le menace :
"Allons, fou, que veux-tu faire ?
-Nicolette est gracieuse et gentille.
-Mais chassée de Carthagène[2]
et achetée à un Sarrasin. 10
Si tu veux te marier,
choisis une femme de haut rang.
-Mère, je ne peux faire autrement :
Nicolette est de bonne naissance ;
son corps charmant, son visage, 15
sa beauté soulagent mon coeur de toute peine.
J’ai raison de l’aimer,
elle est toute douceur.
IV.PARLÉ
Garin, fou de colère, saute sur son cheval et court chez le vicomte de Beaucaire, son vassal :
-Vicomte, éloignez donc Nicolette, votre filleule ! Maudit soit le pays d’où elle vient. À cause d’elle je perds Aucassin. Il refuse d’être chevalier et d’accomplir ses devoirs.
- Seigneur, répond le vicomte, je n’aime pas qu’Aucassin aille et vienne pour la voir et lui adresse la parole. C’est ma fillele et je comptais la marier avec un jeune homme. Mais puisque vous le voulez, je l’enverrai dans un pays où il ne la verra plus jamais.
Le vicomte est très riche et il a un beau palais qui donne sur un jardin. Il ordonne d’installer Nicolette dans une chambre, à un étage élevé, avec une vieille femme pour lui tenir compagnie. Il ordonne de porter du pain, de la viande, du vin et tout le nécessaire. Puis, il fait boucher la porte pour interdire l’entrée et la sortie ; seule une petite fenêtre du côté du jardin leur donne un peu d’air.
Texte adapté pour les besoins du projet des éditions suivantes:
Aucassin et Nicolette, aux éditions GF Flammarion, Paris, 1984 ; Gallimard, Paris, 1999 ; Flammarion, Paris, 1997, et de Jacqueline Mirande, Contes et légendes du Moyen-âge, Nathan/VUEF, 2001
[2] Ville d’Espagne. À l’époque, cette ville est occupée par les Sarrasins.
ACTIVITÉS
1. Une fiche élève avec des questions de compréhension sur le texte ci-dessus
2. un quiz interactif
3. Encore des activités de compréhension (conflit père-fils, relations entre les personnages, topographie, société médiévale)