présentation du projet annuel (en français)

  • Projet annuel franco-grec pour l'association Convoi 77:  biographie de Salomon Yeni (1905-1944) :

     

    Ce projet, aujourd’hui encore inabouti,  est l’histoire d’une belle aventure pédagogique, d’amitié et de fraternité.

     

    C’est une aventure qui a commencé en juillet 2021 lorsque deux collègues françaises, qui travaillaient dans le même lycée depuis 20 ans ont eu la chance de suivre ensemble le formidable séminaire du mémorial de la Shoah (à Toulouse). Elles ont appris à se connaître et ont choisi  de monter ensemble un projet pédagogique annuel en EMC, autour de la proposition de l’association Convoi 77 (descendants des déportés du dernier grand convoi, parti de Drancy le 31 juillet 1944) .

     

    C’est une aventure de fraternité : ce travail de recherches pour construire  la biographie de Salomon Yeni,  permet de (re)donner une identité à un jeune homme qui a fait le choix d’émigrer en France, de participer à la guerre aux côtés des soldats français, puis qui a été déporté et a disparu à Auschwitz. Salomon Yeni , juif grec salonicien né en 1905 ou 1906 (Thessalonique dans la première moitié du XX°s :  , est arrivé à Marseille en 1933. Il s’est installé à Paris puis pendant la guerre, à Pau : beaucoup d’archives à dépouiller et la chance extraordinaire qu’une élève de notre groupe corresponde en anglais avec une jeune salonicienne (Oraiokastro plus exactement) . Cette dernière  a parlé du projet à sa professeure d’histoire et de grec. Ce  programme E-Twinning s’est immédiatement mis en place, dont les premiers éléments sont visibles sur ce twinspace : https://twinspace.etwinning.net/211230 (les élèves grecs ont produit beaucoup de travaux artistiques) et dont on peut trouver ici  quelques extraits, ainsi que deux créations poétiques en grec, traduites en anglais . Les photos transmises  par le lycée d'Oraiokastro nous montrent, encore une fois, que comme d’autres villes  telles Buczacz,  Gdansk ou Vilnius, Thessalonique a presque totalement oublié son passé juif, puisqu’il en demeure très peu de traces au XXI° siècle. Un génocide, nous dit V. Grossman,  c’est le meurtre de l’âme et du corps d’un peuple ou pour paraphraser Alban Perrin, un génocide, c’est la fabrique du « ne plus ».  

    C’est une aventure  pédagogique annuelle qui est proposée à trois groupes d'élèves d'Oraiokastro et deux classes de Terminale générale en EMC : des élèves qui ne montrent pas un grand enthousiasme au début de l’année, puis qui se prennent au jeu de la reconstitution à partir des archives, mais aussi de la partie plus artistique :

    • lecture à voix haute du nom, de l’âge et de l’origine des déportés par le Convoi 77 par  les élèves des deux classes franaçises.
    • lecture de préface en prose, in le mal des fantômes,  poème du roumain Benjamin Fondane, installé à Paris en 1923. La lecture est proposée par 3 élèves apprentis comédiens Talence. Dans ce poème de 1942,  où il s’adresse aux hommes d’aujourd’hui, il est lucide sur son propre assassinat (1944) et revendique, au-delà de la persécution, qu’il appartient à l’espèce humaine.
    • Créations poétiques en grec et en anglais par deux élèves d’Oraiokastro
    • Enfin, la mise en page de l’ensemble du projet numérique a été réalisée par un élève qui souhaite s’orienter dans le domaine de l’édition.

    C’est un projet pédagogique qui est devenu  un travail d’ investigation, lorsque nous avons commencé à rechercher les traces de Denis Vaultier , gendarme à la retraite qui avait rédigé un petit article sur Salomon Yeni et son épouse, Esther Benbassat,  pour le site web https://www.bpsgm.fr/ (les Basses Pyrénées dans la Seconde Guerre Mondiale). Six mois ont été indispensables pour retrouver  ce saint-cyrien, qui s’est révélé être une mine d’informations pour notre projet. En effet, ce bref article publié dans une revue d’histoire régionale, était le sommet d’un iceberg, un long travail de généalogie et d’histoire autour de la famille de Maître Daigueperse (épouse de Denis Vaultier), issue des rives du Bosphore et de Salonique ottomane. Au moment de notre première rencontre, Denis Vaultier venait de publier un ouvrage sur le sujet.

    Salomon Yeni et Esther Benbassat étaient des cousins éloignés de Maître Daigueperse. M. Vaultier a eu l’extrême l’extrême gentillesse de  proposer une conférence à  130 élèves du lycée : les deux classes de terminale générale impliquées dans le projet et trois groupes de terminales en spécialité HGGSP (autour du thème Histoire et Mémoire).  

    La conférence a eu lieu dans l’amphithéâtre du lycée, le 7 février et vidéoprojetée aux élèves de Thessalonique.  M.Vaultier était présent et maître Daigueperse ont animé la réunion. Ils ont également retrouvé les  quatre petits-enfants de Salomon Yeni , dont deux ( Martin et Pierre Iéni) ont accepté de venir témoigner  de la mémoire familiale autour d’un grand-père qu’ils n’ont jamais connu. Cela a permis à chacun, de  comprendre facilement les principales différences entre histoire (à travers le travail minutieux de reconstitution historique de M. Vaultier) et mémoires (à travers les témoignages très émouvants de Martin et Pierre Iéni) : cela a été clairement retranscrit par quelques élèves inscrits en spécialité HGGSP .

    Les hasards de cette aventure pédagogique ont permis de mettre au jour un élément majeur de la biographie  de Salomon Yeni. Grâce au dépouillement des archives par les élèves, mais aussi par le travail minutieux de M. Vaultier et avec les informations obtenues par son ami, l’historien Claude Laharie ( Les Basses-Pyrénées dans la Seconde Guerre mondiale , Cairn,  2021), il a été possible de démontrer, par cinq éléments différents, que Salomon Yeni a été un résistant actif pendant la guerre et qu’il est arrêté en tant que tel .La République ne lui a pas reconnu ce statut, malgré les demandes réitérées de sa femme et de ses enfants. Ces éléments vont être transmis à l’association Convoi 77, pour une nouvelle demande, collective cette fois, de reconnaissance posthume du statut de déporté résistant.  Cette action nous semble importante parce qu’elle montre le caractère universel de la déportation, en tant que violence de masse, hors toute question de judaïté.

    Un dernier mot : Denis Vaultier et son épouse, Maître Daigueperse, vont faire placer des pavés stolpersteine à Pau, devant l’immeuble où Salomon Yeni et  ses cousins ont été arrêtés. Quelques élèves du lycée, les professeures et une délégation de l’association Convoi 77 seront invités à la cérémonie.

     

    Dans une époque où le concept de vérité historique est souvent dévoyé, ce projet pédagogique a pris la forme pour nous, professeures à notre échelle locale, d’un accompagnement actif  à la construction de l’éthique chez de futurs citoyens. Participer au CNRD, à travers le projet de l’association Convoi 77,  a permis de contribuer  dans le cadre de l’EMC, non seulement à l’esprit critique de chacun, mais également au  « devoir de rendre justice » , selon la formule de P. Ricoeur.

    les travaux sont désormais déposés au fur et à mesure de leur avancée sur ce site web, qui est le "produit final" de ce projet E-twinning :

    https://pboutet33.wixsite.com/website